Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

michel maffesoli - Page 4

  • Une société en pleine décadence

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Le Courrier des stratèges et consacré à la décadence de notre société que provoquent des élites qui se sont détournées de flux du vivant. 

    Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

    Michel Maffesoli.jpeg

    Une société en pleine décadence

    S’accorder au cycle même du monde, voilà ce qui est la profonde sagesse des sociétés équilibrées. Tout comme, d’ailleurs, de tout un chacun. C’est cela même qui fonde le sens de la mesure. Le « bon sens » qui, selon Descartes, est la chose du monde la mieux partagée. Bon sens qui semble perdu de nos jours. Tout simplement parce que l’opinion publiée est totalement déconnectée de l’opinion publique.Mais pour un temps, sera-t-il long ? cette déconnection est quelque peu masquée. C’est la conséquence d’une structure anthropologique fort ancienne : la stratégie de la peur.

    La stratégie de la peur pour se maintenir au pouvoir

    D’antique mémoire, c’est en menaçant des supplices éternels de l’enfer que le pouvoir clérical s’est imposé tout au long du Moyen-Âge. Le protestantisme a, par après, fait reposer « l’esprit du capitalisme » (Max Weber) sur la théologie de la « prédestination ». Vérifier le choix de dieu : être élu ou damné aboutit à consacrer la « valeur travail ». L’économie du salut aboutit ainsi à l’économie stricto sensu !Dans la décadence en cours des valeurs modernes, dont celle du travail et d’une conception simplement quantitativiste de la vie, c’est en surjouant la peur de la maladie que l’oligarchie médiatico-politique entend se maintenir au pouvoir. La peur de la pandémie aboutissant à une psycho-pandémie d’inquiétante allure.Comme ceux étant censés gérer l’Enfer ou le Salut, la mise en place d’un « Haut commissariat au Bonheur » n’a, de fait, pour seul but que l’asservissement du peuple. C’est cela la « violence totalitaire » du pouvoir : la protection demande la soumission ; la santé de l’âme ou du corps n’étant dès lors qu’un simple prétexte.Le spectre eugéniste, l’aseptie de la société, le risque zéro sont des bons moyens pour empêcher de risquer sa vie. C’est-à-dire tout simplement de vivre ! Mais vivre, n’est-ce pas accepter la finitude ? Voilà bien ce que ne veulent pas admettre ceux qui sont atteints par le « virus du bien ». Pour utiliser une judicieuse métaphore de Nietzsche, leur « moraline » est dès lors on ne peut plus dangereuse pour la vie sociale, pour la vie tout court !

    La morale comme instrument de domination

    Étant entendu, mais cela on le savait de longue date, que la morale est de pure forme. C’est un instrument de domination. Quelques faits divers contemporains, animant le Landernau germanopratin montrent, à loisir que tout comme le disait le vieux Marx, à propos de la bourgeoisie, l’oligarchie « n’a pas de morale, elle se sert de la morale ».Le moralisme fonctionne toujours selon une logique du « devoir-être », ce que doivent être le monde, la société, l’individu et non selon ce que ces entités sont en réalité, dans leur vie quotidienne. C’est cela même qui fait que dans les « nuées » qui sont les leurs, les élites déphasées ne savent pas, ne veulent pas voir l’aspect archétypal de la finitude humaine. Finitude que les sociétés équilibrées ont su gérer.C’est cela le « cycle du monde ». Mors et vita ! Le cycle même de la nature : si le grain ne meurt… Qu’est-ce à dire, sinon que la beauté du monde naît, justement, de l’humus ; du fumier sur lequel poussent les plus belles fleurs. Régle universelle faisant de la souffrance et de la mort des gages d’avenir.En bref, les pensées et les actions de la vie vivante sont celles sachant intégrer la finitude consubstantielle à l’humaine nature. À la nature tout court, mais cela nous oblige à admettre qu’à l’opposé d’une histoire « progressiste » dépassant, dialectiquement, le mal, la dysfonction et pourquoi pas la mort, il faut s’accommoder d’un destin autrement tragique, où l’aléa, l’aventure le risque occupent une place de choix.

    Pour une philosophie progressive

    Et au-delà du rationalisme progressiste, c’est bien de cette philosophie progressive dont est pétrie la sagesse populaire. Sagesse que la stratégie de la peur du microcosme ne cesse de s’employer à dénier. Et ce en mettant en œuvre ce que Bergson nommait « l’intelligence corrompue », c’est-à-dire purement et simplement rationaliste.Ainsi le funambulisme du microcosme s’emploie-t-il pour perdurer à créer une masse infimie de zombies. Des morts-vivants, perdant, peu à peu, le goût doux et âcre à la fois de l’existence . Par la mascarade généralisée, le fait de se percevoir comme un fantôme devient réel. Dès lors, c’est le réel qui, à son tour, devient fantomatique.Monde fantomatique que l’on va s’employer à analyser d’une manière non moins fantomatique. Ainsi, à défaut de savoir « déchiffrer » le sens profond d’une époque, la modernité, qui s’achève, et à défaut de comprendre la postmodernité en gestation, l’on compose des discours on ne peut plus frivoles. Frivolités farcies de chiffres anodins  et abstraits. Il est, à cet égard, frappant de voir fleurir une quantophrénie ayant l’indubitabilité de la Vérité ! Carl Schmitt ou Karl Löwith ont, chacun à leur manière, rappelé que les concepts dont se servent les analyses politiques ne sont que des concepts théologiques sécularisés.La dogmatique théologique propre à la gestion de l’Enfer ou la dogmatique progressiste théorisant la « valeur travail » s’inversent en « scientisme » prétendant dire ce qu’est la vérité d’une crise civilisationnelle réduite en crise sanitaire. « Scientisme » car le culte de la science est omniprésent dans les divers discours propres à la bien-pensance.

    Cet étrange culte de la science

    Il est frappant d’observer que les mots ou expressions, science, scientifique, comité scientifique, faire confiance à la Science et autres de la même eau sont comme autant de sésames ouvrant au savoir universel. La Science est la formule magique par laquelle les pouvoirs bureaucratiques et médiatiques sont garants de l’organisation positive de l’ordre social. Il n’est jusqu’aux réseaux sociaux, Facebook, Tweeter, Lindkedin, qui censurent les internautes qui « ne respectent pas les règles scientifiques », c’est-à-dire qui ont une interprétation différente de la réalité. Doute et originalité qui sont les racines de tout « progrès » scientifique !Oubliant, comme l’avait bien montré Gaston Bachelard que les paradoxes d’aujourd’hui deviennent les paradigmes de demain, ce qui est le propre d’une science authentique alliant l’intuition et l’argumentation, le sensible et la raison, le microcosme se contente d’un « décor » scientiste propre à l’affairement désordonné qui est le sien.

    Démocrates, peut-être, mais démophiles, certainement pas

    Politiques, journalistes, experts pérorant jusqu’à plus soif sont en effet, à leur « affaire » : instruire et diriger le peuple, fût-ce contre le peuple lui-même. Tant il est vrai que les démocrates auto-proclamés sont très peu démophiles. Au nom de ce qu’ils nomment la Science, ils vont taxer de populistes, rassuristes voire de complotistes tous ceux qui n’adhèrent pas à leurs lieux communs.On peut d’ailleurs leur retourner le compliment. Il suffit d’entendre, pour ceux qui en ont encore le courage, leur lancinante loggorhée, pour se demander si ce ne sont pas eux, les chasseurs de fake news, qui sont les protagonistes essentiels d’une authentique « complosphère »[1]. Très précisément parce qu’ils se contentent de mettre le monde en spectacle.Pour reprendre le mot de Platon, décrivant la dégénérescence de la démocratie, la « Théâtrocratie » est leur lot commun. Politique spectacle des divers politiciens, simulacre intellectuel des experts de pacotille et innombrables banalités des journalistes servant la soupe aux premiers, tels sont les éléments majeurs constituant le tintamarre propre à ce que l’on peut nommer la médiocrité de la médiacratie.

    Face à l’inquisition de l’infosphère

    J’ai qualifié ce tintamarre « d’infosphère ». Nouvelle inquisition, celle d’une élite déphasée regardant « de travers » tout à la fois le peuple malséant et tous ceux n’adhérant pas au catéchisme de la bienpensance. « Regarder de travers », c’est considérer ceux et ce que l’on regarde en coin comme étant particulièrement dangereux. Et, en effet, le peuple est dangereux. Ils ne sont pas moins dangereux tous ceux n’arrivant pas à prendre au sérieux la farce sanitaire mise en scène par les théâtrocrates au pouvoir.Il faudrait la plume d’un Molière pour décrire, avec finesse, leurs arrogantes tartufferies. Leur pharisianisme visant à conforter la peur, peut aller jusqu’à susciter la délation, la dénonciation de ceux ne respectant pas la mise à distance de l’autre, ou de ceux refusant de participer au bal masqué dominant. Leur jésuitisme peut également favoriser la conspiration du silence vis-à-vis du mécréant. (celui qui met en doute La Science). Et parfois même aller jusqu’à leur éviction pure et simple des réseaux sociaux.Dans tous ces cas, il s’agit bien de la reviviscence inquisitoriale. La mise à l’Index : Index librorum prohibitorum. Délation et interdiction selon l’habituelle manière de l’inquisition : au moyen de procédures secrètes. L’entre-soi est l’élément déterminant de la tartufferie médiatico-politique. L’omerta mafieuse : loi du silence, faux témoignages, informations tronquées, demi-vérités, sournoiseries etc. Voilà bien le modus operandi de la fourberie en cours. Et tout un chacun peut compléter la liste de ces parades théâtrales.Voilà les caractéristiques essentielles de « l’infosphère », véritable complosphère dominante. Mafia, selon la définition que j’ai proposée des élites, rassemblant « ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire ». Puis-je ici rappeler,  à nouveau,  une rude expression de Joseph de Maistre pour décrire ceux qui sont abstraits de la vie réelle : « la canaille mondaine ». Peut-être faudrait-il même dire « demi-mondaine ». Ce qui désigne, selon Alexandre Dumas, une « cocotte » richement entretenue et se manifestant bruyamment dans la sphère médiatique, le théâtre et la vie publique ou politique. Demi-monde on ne peut plus nébuleux dont les principales actions sont de déformer la réalité afin de la faire rentrer en congruence avec leur propre discours. Demi-mondaines entretenues par l’État ou les puissances financières de la démocratie afin de faire perdurer un état de choses désuet et rétrograde.Mais cette déformation de la réalité a, peu à peu, contaminé l’espace public.C’est cela le cœur battant du complotisme de « l’infosphère » : entretenir « mondainement » la peur de l’enfer contemporain. Anxiété, restriction des libertés acceptée, couardise, angoisse diffuse et tout à l’avenant au nom du « tout sanitaire ». Forme contemporaine du « tout à l’égoût » !

    Une vraie psycho-pandémie

    Sans nier la réalité et l’importance du virus stricto sensu, sans négliger le fait qu’il ait pu provoquer un nombre non négligeable de décès, ce qui n’est pas de ma compétence, il faut noter que le « virus » s’est introduit de manière essentielle dans nos têtes. Ce qui devrait nous conduite à parler d’une « psycho-pandémie » suscitée et entretenue par l’oligarchie médiatico-politique. Psycho-pandémie comme étant la conséquence logique de ce que Heidegger nomme la « pensée calculante » qui, obnubilée par le chiffre et le quantitatif et fascinée par une  logique abstraite du « devoir être », oublie la longue rumination de la « pensée méditante » qui, elle, sait s’accorder, tant bien que mal à la nécessité de la finitude.Voilà ce qui, pour l’immédiat suscite une sorte d’auto-anéantissement ou d’auto-aliénation conduisant à ce que ce bel esprit qu’était La Boétie nommait la « servitude volontaire ». Ce qui est, sur la longue durée des histoires humaines, un phénomène récurrent. Cause et effet de la stratégie de la peur qui est l’instrument privilégié de tout pouvoir, quel qu’il soit.Stratégie de la peur qui, au-delà ou en-deçà de l’idéal communautaire sur lequel se fonde tout être ensemble, aboutit, immanquablement à une grégaire solitude aux conséquences on ne peut plus dramatique : violence perverse, décadence des valeurs culturelles, perte du sens commun et diverses dépressions collectives et individuelles. L’actualité n’est pas avare d’exemples illustrant une telle auto-aliénation !Il est deux expressions qui devraient nourrir la pensée méditante, ce que Durkheim nomme le « conformisme  logique », ou ce que Gabriel Tarde analyse dans « les lois de l’imitation ». Des insanités déversées d’une manière lancinante, dans la presse écrite, radiophonique ou télévisuelle par l’oligarchie, au spectacle du bal masqué que nous offre la réalité quotidienne, on voit comment la stratégie de la peur induite par l’inquisition contemporaine aboutit à un état d’esprit tout à fait délétère, et on ne peut plus dangereux pour toute vie sociale équilibrée.Cette grégaire solitude est particulièrement angoissante pour les jeunes générations auxquelles est déniée tout apprentissage vital. Et c’est pour protéger des générations en fin de vie que l’on sacrifie une jeunesse qui est, ne l’oublions pas, la garante de la société à venir.De diverses manières de bons esprits ont rappelé qu’une société prête à sacrifier la liberté, la joie de vivre, l’élan vital en échange de sécurité et de tranquillité ne mérite ni les uns, ni les autres. Et, in fine, elle perd le tout. N’est-ce point cela qui menace, actuellement, la vie sociale en son ensemble ?

    De la raison sensible

    Mais une fois le diagnostic fait, il est nécessaire de formuler un pronostic pertinent. Ainsi, en accord avec le réalisme que l’on doit à Aristote ou à Saint Thomas d’Aquin, il faut savoir mettre en oeuvre un chemin de pensée alliant les sens et l’esprit. Ce que j’ai nommé la « raison sensible ». Voilà qui peut mettre à bas les châteaux de cartes du rationalisme étroit dans lequel les concepts abstraits servent de pseudo-arguments. Le bon sens et la droite raison réunis peuvent permettre de mettre un terme au brouhaha des mots creux. C’est bien d’ailleurs ce qui est en train de se passer sur les réseaux sociaux dans lesquels grâce aux tweets, forums de discussion, échanges sur Facebook, sites et blogs de résistance divers et presse en ligne est en train de s’élaborer une manière de penser et d’agir différente. Il faut être attentif à la société officieuse en gestation, totalement étrangère à la société officielle propre à l’oligarchie médiatico-politique.Il est une heureuse expression que l’on doit à l’universitaire et homme politique Pierre-Paul Royer-Collard (1763 – 1845) qu’il est utile de rappeler de nos jours. C’est ainsi qu’il oppose « le pays légal au pays réel ». Par après cette opposition a été reprise, diversement, par Auguste Comte ou Charles Maurras. Mais elle a l’heur de nous rappeler que parfois, il existe un divorce flagrant qui oppose la puissance populaire, puissance instituante, au pouvoir officiel et institué. C’est ce qui permet de saisir la lumière intérieure du bon sens populaire. C’est ce qui permet de comprendre qu’au-delà de la décomposition d’une société peut exister une renaissance. C’est cette métamorphose qui est en cours. Et au-delà de la soumission induite par la protection, c’est dans le « pays réel » que se préparent les soulèvements fondateurs d’une autre manière d ‘être ensemble.Ainsi de la révolte des « gilets jaunes » à la résistance, multiforme, à la mascarade, à la distanciation, voire aux vaccins, c’est une métamorphose sociétale qui se prépare. Le « monde d’après » est déjà là. Métamorphose qui bien évidemment à ce que Vilfredo Pareto nommait, avec pertinence, la « circulation des élites ». 

    La faillite des élites est déjà là

    Une telle circulation est inéluctable. La faillite des élites est, maintenant, chose acquise. La forte abstention aux diverses élections, la désaffection vis-à-vis des organes de presse, émissions de télévision ou radio en portent témoignage. Ce que l’on peut appeler « des bulletins paroissiaux » n’intéresse que des affidés, des petites sectes médiatico-politiques se partageant le pouvoir.Or le propre des « sectaires » est, en général, d’être totalement aveugles vis-à-vis de ce qui échappe à leur dogmatique. C’est ainsi que tout en considérant cela comme dangereux, ils sont incapables de repérer et de comprendre ces indices hautement significatifs que sont les rassemblements festifs se multipliant un peu partout. Il en est de même des multiples transgressions aux divers « confinements » et autres « couvre-feu » promulgués par l’appareil technico-bureaucratique. Et l’on pourrait multiplier à loisir des exemples en ce sens.Lorsque dans les années 70, je soulignais que la vraie violence, la « violence totalitaire » était celle d’une « bureaucratie céleste » voulant aseptiser la vie sociale et ce en promulguant la nécessité du risque zéro, je rappelais qu’à côté d’une soumission apparente existaient une multiplicité de pratiques rusées. Expression d’une duplicité structurelle : être tout à la fois double et duple.Il s’agit là d’un quant à soi populaire assurant, sur la longue durée, la survie de l’espèce et le maintien de tout être ensemble. C’est bien un tel « quant à soi » auquel l’on rend attentif tout au long de ces pages. Il témoigne d’une insurrection larvée dont la tradition donne de nombreux exemples et qui ponctue régulièrement l’histoire humaine.Duplicité anthropologique de ce bon sens dont Descartes a bien montré l’importance. Duplicité qui à l’image de ce qu’il disait : « larvatus prodeo », l’on s’avance masqué dans le théâtre du monde. Mais il s’agit là d’un masque provisoire qui sera, plus ou moins brutalement, ôté lorsque le temps s’y prêtera. Et ce en fonction du vitalisme populaire qui sait, de savoir incorporé, quand il convient de se soulever. Et ce avant que le bal masqué ne s’achève en danse macabre !
     
    Michel Maffesoli (Le courrier des stratèges, 22 janvier 2021)
     
    [1] Je renvoie ici à la lucide et sereine analyse de Raphaël Josset, Complosphère. L’esprit conspirationniste à l’ère des réseaux, Lemieux éditeurs, 2015
    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Les structures anthropologiques de l'imaginaire...

    Les éditions Armand Colin viennent de rééditer l'essai de Gilbert Durand intitulé Les structures anthropologiques de l'imaginaire. Professeur émérite de sociologie et d’anthropologie culturelle à l'université de Grenoble, mort en 2012, Gilbert Durand est connu pour ses travaux sur l'imaginaire et la mythologie, qui ont fortement influencé Michel Maffesoli, dont il a été le professeur.

    Durand_Les structures anthropologiques de l'imaginaire.jpg

    " Gilbert Durand, disciple de Bachelard, souhaitait en concevant cet ouvrage compléter "anthropologiquement" les recherches inaugurées par l'auteur de "la psychanalyse du feu". Son livre est devenu la référence de tous les travaux sur les mythes : une sorte de "jardin" des images, ordonné comme la botanique de  Linné, un  merveilleux  répertoire organisé autour des grands schémas structuraux. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • La stratégie de la peur est une violence faite par les élites...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Michel Maffesoli à Eric Verhaeghe pour Le Courrier des stratèges, dans lequel il évoque la culture élitaire de l'oligarchie qui pense vaincre la mort et qui déploie une stratégie de peur pour asseoir sa domination sur la société.

    Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

                                              

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • L’Europe décadente de Julien Freund...

    Dans son émission vidéo Fenêtre sur le monde, Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de la revue Conflits vous amène sur les chemins de la philosophie politique pour évoquer l’Europe, la démocratie et la politique au travers de l’œuvre de Julien Freund avec ses trois invités, Chantal Delsol, Michel Maffesoli et Markus Kerber.

     

                                     

    Lien permanent Catégories : Débats, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Macron ventriloque de la farce masquée...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Le Courrier des stratèges et consacré à la question de la généralisation du port du masque et à sa signification politique. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

    Gouvernement_Castex_Masques.jpg

     

    Maffesoli : Macron ventriloque de la farce masquée

    Le poème quelque peu apocalyptique de Lord Byron : Darkness, peut nous aider à comprendre un monde où le chaos tend à prévaloir. En effet, l’empire des ténèbres se répand un peu partout. Et les protagonistes essentiels en sont ceux qui se réclament de la philosophie des Lumières. Ceux qui font la loi. Ceux qui d’une manière hypocrite ne veulent pas reconnaître les conditions troubles de la loi qu’ils imposent en promouvant les défilés de masques, qui outre le caractère ridicule de ces accoutrements, sont l’expression par excellence d’une mise en scène on ne peut plus fallacieuse.

    Mascarade et empire des ténèbres

    Oui, la mascarade généralisée est bien la cause et l’effet d’un empire des ténèbres se généralisant. Mais l’apocalypse n’a pas seulement le sens péjoratif que lui donnent généralement les collapsologues de tous poils. C’est, ne l’oublions pas, stricto sensu, une révélation de ce qui est en train de s’achever et du coup, de ce qui également, émerge. Ce qui est en train de cesser, c’est l’organisation rationnelle d’une société progressiste. Et ce qui émerge, c’est sa caricature : « la société du spectacle » (Guy Debord).

    Il est une phrase bien connue du vieux K. Marx qui garde une étonnante pertinence : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce ».

    C’est bien cette farce qui prospère et qui s’exprime dans les lieux communs de l’époque agonisante. Lieux communs répétés, ad nauseam, par les sophistes du moment. Mais lieux communs répétés maladroitement et sur un ton emphatique et n’arrivant plus à cacher l’aspect simpliste et sans profondeur des propos officiels. Ce sont des poncifs hypocrites, de ceux n’ayant aucune assise et n’étant amarrés à rien.

    Stratégie de la peur et gouvernement de la terreur

    Poncif d’une élite en perdition qui, pour perdurer met en scène une stratégie de la peur réclamant l’obéissance en faisant trembler. En la matière en agitant le fantasme d’une « pandémie » dont de nombreux scientifiques soulignent l’inanité, mais qui justifient un gouvernement de la terreur. Ce qui d’antique mémoire est le plus sûr moyen d’infantiliser puis de soumettre le peuple. Ce que résume bien Machiavel en rappelant que « celui qui contrôle la peur des gens devient le maître de leurs âmes ».

    La mascarade généralisée est bien le moyen contemporain de contrôler la peur et, par là, sinon d’empêcher du moins de minimiser la résistance qui semble de plus en plus prête à s’exprimer. Mais revenons à cette dialogie entre le tragique et la farce.

    Souvenons-nous ici du « larvatus prodeo » de Descartes. Il avance masqué par prudence. Pour éviter de donner prise aux tenants du pouvoir contrôlant la pensée et donc l’âme collective, c’est en étant masqué qu’il put élaborer ces écrits qui servirent de fondement à la Modernité qui s’amorçait. Le « doute » et la raison souveraine seront d’utiles et on ne peut plus efficaces instruments pour lutter contre les dogmatismes dominants et ce dans la vie politique comme dans le domaine intellectuel.

    Mais progressivement ce masque ne favorise plus la résistance. Bien au contraire il sert de protection à une bureaucratie voulant à tout prix maintenir son pouvoir et qui, gauche et droite confondues, se sent perdue quand elle ne trouve pas à portée de main ses charentaises et les lieux communs de la bienpensance qui l’accompagnent. Le masque étant pour elle le moyen d’assurer et d’assumer ce que Pascal nomme, judicieusement, le divertissement. La facinatio nugacitalis, cette fascination du frivole ou enchantement de la bagatelle.

    Théâtrocratie et tartufferie

    L’époque s’achevant, il est dans la logique des choses que le tragique devienne farce : la société du spectacle à son apogée. Platon en parlant de « théâtrocratie » souligne bien que ceux qu’il nomme « les montreurs de marionnettes », n’ayant pas un véritable savoir, mais sophistes utilisant une rhétorique abstraite pour manipuler le tout venant.

    Le spectacle politique a maintenant atteint son apogée. Un président de la République, structurellement « théâtreux », exemple achevé d’une tartufferie dont tous les mots d’ordre sont ventriloques. Mais il a fait école. Et tel ministre passe sans coup férir d’une émission à la vulgarité affichée au ministère de la Culture. Malraux doit se retourner dans sa tombe !

    Le cinéaste Cl. Lelouch, quant à lui souligne qu’avec Dupont-Moretti il perd un « acteur formidable ». C’est tout dire. La loi sur la mascarade est entre de bonnes mains. La Justice devient une clownerie dont on n’a pas fini de voir les désastreuses conséquences.

    Intéressant également de noter dans la presse, les radios et même à l’université que c’est la parodie qui tient le haut du pavé. Les billets d’humeur (d’humour ?), la comédie sont les garants du succès et par exemple chaque radio paye à prix d’or le clown qui va, dans la matinale, assurer son audience.

    Depuis ce qui se nomme la « nouvelle philosophie », c’est une pensée du « show-biz » qui donne ses lettres de noblesse à une société du spectacle lisse et complètement aseptisée. Dans les domaines de la politique, de la presse, de la connaissance, le « people » a remplacé le peuple. Confusion révélatrice d’une indéniable décadence en appelant à une renaissance insurrectionnelle.

    Vers une société du spectacle et de la surveillance généralisée

    Guy Debord avait bien, prophétiquement, analysé un tel processus. « Un financier va chanter, un avocat va se faire indicateur de police, un boulanger va exposer ses préférences littéraires, un acteur va gouverner » (Commentaires sur la société du spectacle). C’est bien cela qui conduit à se laisser emporter par les engouements du jour en oubliant la riche complexité de la vie quotidienne. La mascarade généralisée n’est que la suite logique d’un monde où le « divertissement » tel que l’a bien analysé Pascal fait florès !

    Dans son livre La bureaucratie céleste, l’historien de la Chine antique, Etienne Balazs, souligne la prédominance des eunuques dans l’organisation de l’Empire. Ne pouvant procréer ils élaborent une conception du monde dans laquelle un ordre abstrait et totalement désincarné prédomine. L’élément essentiel étant la surveillance généralisée. En utilisant, d’une manière métaphorique cet exemple historique, on peut souligner que la mascarade en cours est promue par la « bureaucratie céleste » contemporaine dont l’ambition est stricto sensu d’engendrer une société aseptisée dans laquelle tout serait, censément, sous contrôle. Et en reprenant la robuste expression de Joseph de Maistre, c’est toute « la canaille mondaine » qui sans coup férir s’emploie non pas à faire des enfants, mais à infantiliser la société : il faut en effet noter que pas un parti politique n’a osé s’élever contre le port du masque généralisé.

    Ce qui montre bien, endogamie oblige, que c’est la classe politique en son ensemble, aidée par des médias aux ordres et soutenue par des « experts » soumis, qui est génératrice d’un spectacle lisse et sans aspérités. Mais l’hystérie hygiéniste, le terrorisme sanitaire, ne sont pas sans danger. Car c’est lorsqu’on ne sait pas affronter le mal que celui-ci se venge en devenant en son sens strict pervers : per via, il prend les voies détournées s’offrant à lui.

    Inévitable réaction bestiale de la société

    C’est en niant notre animalité que l’on voit resurgir une bestialité immaîtrisée. J’avais en son temps rappelé cela en soulignant, avant que ce terme ne soit employé d’une manière lancinante et non pensée, que c’est l’aseptie qui aboutit à un « ensauvagement du monde »[1] dont on observe quotidiennement des exemples à foison. Et ce sont les gardiens de l’hygiénisme en cours qui doivent être tenus pour responsables des débordements plus ou moins violents appelés à se généraliser.

    Ce qui est certain, c’est que contre un totalitarisme, plus ou moins « doux », en train de se généraliser, on peut s’attendre à l’émergence d’une multiplicité de révoltes. Alors je « j’avance masqué » de Descartes retrouvera sa fonction originelle : favoriser la résistance contre des élites dont la faillite est maintenant reconnue par tous. Ainsi le masque prévu pour la soumission par la bureaucratie, en une curieuse hétérotélie, c’est à dire avec un but autre que celui qui était prévu, va devenir un moyen de subvertir l’hypocrisie poisseuse de cette bureaucratie. On peut dès lors se demander si le masque prenant le contre-pied de l’infantilisation voulue ne permettra pas l’émergence d’une nouvelle « ère des soulèvements ».

    Soulèvements contre l’économicisme, contre la Foi Progressiste, et contre l’adoration servile de l’argent et de la valeur travail. Paradoxe amusant, faisant du masque une arme efficace pour imposer le retour d’un étalon spirituel comme impérieux moyen de restaurer l’échange, le partage et la solidarité, comme éthique (ethos) de base de tout être-ensemble authentique.

    Michel Maffesoli (Le Courrier des stratèges, 27 août 2020)

    [1] Michel Maffesoli, Sarkologie, pourquoi tant de haine(s) ? , Albin Michel, 2011, p. 147

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Saturation de l’idéal démocratique, émergence d’un idéal communautaire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Le Courrier des stratèges et consacré à l'émergence de nouvelles formes politiques liées  à l'idéal communautaire. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

    Communauté_Moyen-Age.jpg

    Saturation de l’idéal démocratique, émergence d’un idéal communautaire

    Ce que l’on oublie, par trop souvent, dans la réflexion sur le politique, la gestion de la cité, c’est la distinction entre pouvoir et puissance. Pour le dire vite, le pouvoir est institué, c’est l’organisation du vivre ensemble, la puissance est instituante. Elle est ce qui donne corps et sens à la vie sociale, elle est ce qui fonde l’être ensemble.

    Selon les moments de l’histoire, le rapport entre le pouvoir et la puissance populaire qui le fonde et lui sert d’assise prend des formes différentes, liées à l’imaginaire de l’époque, à la manière dont les hommes se représentent leur destin commun.

    Qu’appelle-t-on la saturation des valeurs ?

    Ces conceptions différentes de la vie sociale se succèdent, non pas par ruptures brutales, mais par un processus progressif de lente saturation des valeurs d’une époque pendant qu’émergent de nouvelles valeurs.

    C’est ainsi qu’à partir du siècle des Lumières et de la Révolution française s’était mise en place une conception de la cohésion sociale fondée d’une part sur un principe individualiste, chaque individu est une entité autonome  (suivant sa propre loi, disposant de son « libre arbitre ») et d’autre part une forme de collaboration essentiellement juridique : le contrat social. Ma liberté individuelle s’arrête là où elle empêche l’expression de la liberté individuelle de l’autre.

    La démocratie étant la forme politique de cette conception du monde. C’est ce que cette grande dame de la pensée, Hannah Arendt appelle « l’idéal démocratique ». A un ensemble de « représentations » philosophique correspondait une « représentation » politique . Le pouvoir était délégué par les individus à des institutions élues ayant pour but d’organiser la gestion du territoire, la vie commune, la cité.

    Car l’organisation du pouvoir est étroitement lié à la conception du lien social, de ce qui lie les personnes entre elles, de ce qui fait cohésion sociale, je dirais même de ce qui fait socialité.

    Montée de l’hétéronomie post-moderne

    Dans la modernité, le lien entre individus autonomes se fait donc par le biais juridique du contrat social. Dans la postmodernité par contre, il n’y a pas d’autonomie individuelle, chaque personne se définit par rapport à diverses appartenances communautaires, ce que j’ai appelé, il y a plus de trente ans, le « tribalisme ». Il n’y a plus d’unité figée d’un individu, mais des identifications multiples selon les moments et les lieux à différentes communautés . En bref à l’autonomie (« autonomos » : je suis ma propre loi) succède l’hétéronomie (la loi c’est l’autre qui me la donne) . Tout un chacun étant dés lors tributaire de la communauté (ou des communautés) où il est inséré.

    Le fait que l’individu soit autonome ou au contraire dépendant de l’autre, l’autre de sa tribu ou des autres tribus va structurer des conceptions du pouvoir différentes. Dans un cas, la modernité, le pouvoir va être délégué par les individus à différentes instances élues, mandatées pour appliquer tel ou tel programme, pour exprimer telle ou telle conception de la société. Au contraire dans la postmodernité naissante, c’est à dire dans une société tribalisée, constituée de multiples communautés [1], cette forme de délégation du pouvoir ne fonctionne plus. Les masses fragmentées, éparpillées en diverses tribus ne se sentent plus représentées. Les individus ne s’identifient plus à un modèle unique, transcendant toute leur vie économique, sociale, spirituelle, mais sont eux-mêmes ceci et cela, celui-ci et celle-là, selon les occurrences quotidiennes.

    Dès lors le modèle politique de la démocratie représentative ne permet plus le lien entre la puissance et le pouvoir, entre l’instituant et l’institué. L’institué, le pouvoir, les élites (ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire) de quelque nom qu’on les appelle ne sont plus pertinents. Ils sont des figures mortes, des représentants  d’institutions abstraites . Ce qui implique ce que Vilfredo Pareto nommait, justement, la fameuse « circulation des élites » !

    Puissance populaire et idéal communautaire

    Mais cette puissance populaire, cette volonté commune de faire corps, d’éprouver ensemble un destin commun et d’y faire face n’est pas morte, elle. Elle va chercher d’autres formes d’expression, d’autres formes de rassemblement. L’accent étant mis, dés lors, sur le partage de communions émotionnelles, de vibration communes. Ce que l’on appelle, en terme plus soutenu : la syntonie .

    Alors que dans la forme démocratique l’émotion commune est en quelque sorte projetée dans un objectif lointain, (un pro-jet), un avenir à construire, une société parfaite pour demain, dans la forme émergente de l’idéal communautaire [2] la communion est immédiate et présente. Les émotions communes, l’éprouver ensemble, l’esthétique (« aisthesis » en grec, c’est éprouver ensemble des émotions, des passions …) se vivent ici et maintenant. Non plus l’attente d’une « éternité » dans une société parfaite à venir, mais le désir de vivre dans ce que j’ai appelé « l’instant éternel ».

    Et c’est bien ainsi que l’on retrouve un autre rapport entre le politique, l’organisation de la cité et la proximité, le fait d’être-ensemble en un lieu. En témoigne la fin des oppositions partisanes, au profit de clivages plus subtils, entre les tenants d’une gestion bureaucratique des compétences croupions des petites communes et  ceux qui souhaitaient incarner au jour le jour une gestion de proximité, non pas pour les habitants, mais avec eux. Non pas un catalogue de promesses, mais l’ouverture sur une série d’expériences communes, ici et maintenant.

    En quoi consiste l’idéal communautaire

    Car si dans l’idéal démocratique, c’est le temps qui détermine l’être- ensemble, on dépasse ensemble le passé et on construit ensemble un avenir, dans l’idéal communautaire, on est ensemble, ici et maintenant, en intégrant le passé (la Tradition) et en vivant, au jour le jour un avenir qui est destin commun. Ce n’est plus la flèche de l’Histoire en marche, mais la spirale où le présent gros du passé assure de l’avenir. Ce n’est plus le « progressisme » qui va prédominer mais bien la « progressivité ». Et l’être ensemble ne se construit pas par la projection dans l’avenir, mais par le fait d’être ensemble dans un lieu donné . Le lieu fait lien. Internet aidant, ce lieu territoire géographique, pourra être démultiplié en plusieurs lieux, plusieurs sites, réels ou virtuels.

    La proximité n’est plus ce que Michel Foucault nommait « l’assignation à résidence », ce n’est plus non plus l’assignation à identité. Elle se démultiplie en de multiples moments de vie commune et en « identifications » multiples. Et c’est ce ballet entre diverses tribus qu’il revient à de nouvelles formes politiques de réguler sinon d’organiser.

    A chaque changement d’époque l’on voit un profond désarroi naître de la dichotomie existant entre l’institution et le peuple. Quand le peuple ne se reconnaît plus dans ses institutions, il fait sécession (secessio plebis).

    Les élections municipales et la sécession du peuple

    C’est exactement ce que nous montrent les résultats des élections municipales. Ce qui est frappant ce n’est pas tant la vague verte, vague sur laquelle surfent quelques tribus bobos en mal de pouvoir, mais l’énorme désintérêt populaire pour ces élections locales. Ni les partis traditionnels, ni les pseudo-nouvelles formes de représentation, les ni droite ni gauche de LREM ni même l’écologie politique ne peuvent prétendre à représenter et à plus forte raison à rassembler les diverses composantes d’une République Une et Indivisible. Ce qui est en gestation étant une autre conception de la « Res publica » : une république en mosaïque.

    Quand le pouvoir et la puissance sont entièrement déconnectés, quand les institutions ne sont plus innervées par une énergie commune, par la puissance populaire, quand les élites sont totalement distantes de la base, il faut trouver de nouvelles formes de gestion de la cité.

    Il faut noter d’ailleurs à cet effet, que dans quelques rares communes de moins de 1000 habitants, dans lesquelles l’équipe sortante n’a pas été reconduite au premier tour, s’étaient manifestées des équipes soucieuses de faire renaître leur village par des projets collaboratifs et des formes de participation innovantes. Las, les manœuvres de politiciens aguerris, usant des diverses ficelles de la vie démocratique moribonde ont empêché de telles expériences.

    Mais, qu’il s’agisse des villes à forte abstention ou des villages où les caciques du pouvoir se sont cramponnés à leurs privilèges, les formes d’être ensemble se détermineront progressivement dans de multiples expériences communes : dans des soulèvements populaires, sur le modèle des premiers gilets jaunes ou de diverses manifestations n’ayant d’autre objet que de se rassembler. Mais également, au jour le jour et dans différents territoires de proximité, des manifestations de solidarité, d’entraide, des rassemblements festifs, des initiatives de rencontres.

    N’est plus acceptée une politique imposée d’en haut, une politique ayant la vérité et menant le peuple vers un but défini par des élites en déshérence. Non pas une politique paranoïaque, mais une politique métanoïaque. Non pas au-dessus, mais avec. Non pas la loi du Père, mais la loi des frères.

    Ce sera cela la gestion de la maison commune, la sagesse commune, ce que j’ai appelé Ecosophie.

    D’un point de vue historique, on pourrait rappeler le modèle de l’empire romain. Pax romana c’était l’organisation sur un très grand territoire des fonctions de mobilité (routes et aqueducs), d’un culte commun dans une acceptation relativiste d’une diversité de croyances, de modes de vie etc.

    Nul ne peut prédire les formes que prendront les institutions qui naîtront de ces formes nouvelles et émergentes d’être ensemble. Sans doute y aura-t-il de nombreux soubresauts et d’affrontements entre pouvoirs moribonds. Ce que l’on peut dire par contre est que ces nouvelles formes politiques, ces formes d’une politique transfigurée, se lisent, au jour le jour, au plan local, dans la proxémie quotidienne.

    C’est cette esthétique quotidienne que doit peu à peu formaliser un politique en adéquation avec l’époque postmoderne. 

    Michel Maffesoli (Le Courrier des stratèges, 9 juillet 2020)

     

    Notes :

    [1] Nombre d’observateurs ont « découvert » récemment cette réalité d’une France (je dirais d’une société européenne, occidentale et asiatique) fractionnée, fragmentée, « archipellisée ». Des appartenances multiples, des croyances diversifiées en différents syncrétismes. Bref, ce que j’analysais, dés 1988, dans mon livre , Le temps des tribus, le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse. (1988, 4ème édition, La Table ronde, 2019). Analyse reprise, ad nauseam, par ces fameux « experts » médiatiques, tout simplement, des plagiaires. La sagesse populaire le sait bien : on a tort d’avoir raison trop tôt !

    [2] Cf. Michel Maffesoli et Hélène Strohl : La faillite des élites, éditions du Cerf, 2019

     
    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!